Une étrange collection: les pays

Tout le monde a une passion, qu'il s'agisse de monter à vélo les cols les plus raides ou de collectionner les figurines de Star Wars. Pour ma part, c'est le voyage.

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Par Maria Lazarte
Mots clés : TourismeVoyage
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Ma passion du voyage m'a fait vivre des expériences incroyables. J'ai été jetée à l'eau par un éléphant en Malaisie et j'ai assisté à des noces de quatre jours au Soudan. J'ai nagé avec les lamantins aux États-Unis et survolé en montgolfière la Cappadoce en Turquie. J'ai franchi en raft une chute d'eau de sept mètres en Nouvelle-Zélande et serré un kangourou dans mes bras en Australie. En chemin, j'ai croisé des personnes qui m'ont beaucoup appris sur le monde, et qui m'ont fait saisir l'ampleur de tout ce que j'avais encore à découvrir. Alors je continue. Mais quand on est passionné, on ne peut pas résister à la tentation de mesurer et de comparer – cela vaut aussi bien pour la taille d'une collection, que pour les records de vitesse. Les voyages n'échappent pas à cette règle.

Les voyageurs extrêmes

Trinidad, Cuba.
Photo: Maria Lazarte

Je suis récemment tombée sur un article où il était question d'un record, celui de Charles Veley qui aurait 3,7 millions de kilomètres à son actif, soit 95 % de la planète. Est-ce vraiment un record, pas évident de le savoir ! À dire vrai, il n'y a pas de méthode objective pour quantifier les voyages. Faut-il compter les pays, les villes ou les territoires ? Et qui les définit ? Cette question revient souvent chez les globe-trotters accros, qui aiment comptabiliser et dresser des listes, au point qu'on les qualifie parfois de voyageurs compétitifs ou de collectionneurs de pays.

Si l'espèce n'est pas courante, compte tenu des ressources, du temps et des efforts qu'implique une telle frénésie de voyages, on ne peut douter de l'intensité de leur passion. M. Veley, directeur de société informatique qui a fait fortune très tôt, a décidé de prendre sa « retraite » à 34 ans, pour voyager. Il avait à l'époque entendu parler du Travelers’ Century Club (TCC), une association qui demande à ses membres d'avoir foulé le sol d'au moins 100 pays. Leur obstination à collectionner les destinations est telle que les 195 pays souverains du monde (ayant statut de membre ou d'observateur à l'ONU) n'y suffisent pas – le TCC découpe le monde en 324 territoires !

Non content de rejoindre l'élite, M. Veley a aussi voulu laisser une trace. Il faut dire qu'à 37 ans, il avait déjà atteint le chiffre record de 249 des territoires de la planète (inscrit dans le Livre Guinness des records). Or, au moment de faire valider son titre par le TCC, le Club a déclaré qu'il était impossible de prouver la véracité de l'exploit. Guinness a donc décidé la suppression pure et simple de cette catégorie dans ses records. Ulcéré, M. Veley a créé son propre site Web intitulé Most Traveled People (MTP) qui dresse une liste de destinations permettant d'établir un découpage mondial de 873 localisations et un classement entre les voyageurs, avec en tête, on s'en doute, M. Veley. Faute de consensus mondial sur la notion de voyage compétitif, chacun définit ce qui doit entrer en ligne de compte en fonction de ses propres critères. Ainsi Jeff Shea, propriétaire d'une entreprise industrielle en Californie, estime avoir couvert plus de pays que M. Veley, et a donc créé sa propre liste, beaucoup plus longue, puisqu'elle compte 3 978 pays et subdivisions nationales.

Une norme pour les globe-trotters ?

Un mariage à Khartoum, au Soudan, où d'adorables grands-mères ne cessaient de me parler pour me tenir compagnie. Je ne comprenais rien et souriais en répétant « tamam » (bon), à leur grand amusement.
Photo: Maria Lazarte

Alors que j'étudie d'un peu plus près ces initiatives étonnantes, je réalise soudain la chose suivante : cette confusion générale et ces opinions contradictoires ne s'expliquent-elles pas précisément par l'absence de normes ? Imaginons un peu si l'on créait un comité ISO pour élaborer une Norme internationale sur le décompte des voyages, que l'on intitulerait par exemple : Lignes directrices et exigences pour la quantification de l'étendue géographique couverte par un voyageur individuel. Comment résoudrait-il toutes ces questions ? Tout d'abord, l'ISO réunirait des experts du monde entier, qui seraient des représentants du secteur du tourisme de tous pays (agences de voyage, éditeurs de guides touristiques, et pourquoi pas, compagnies aériennes), des globe-trotters aguerris, des blogueurs célèbres, des associations de voyageurs comme le TCC, et, qui sait, peut-être même un émissaire du Livre Guinness des records.

Puis, dans le cadre de plusieurs réunions successives, ces experts se concerteraient longuement sur le sujet pour établir une proposition. En dehors de la division du monde en catégories clairement représentatives que l'on pourrait aisément cocher les unes après les autres sur notre liste de pays à découvrir, il y aurait d'autres points à envisager. Quel type de visite compterait réellement ? Suffirait-il de traverser un pays en voiture ? Faudrait-il y rester au moins une heure, y prendre au moins un repas, y passer au moins une nuit ? Compterions-nous aussi les déplacements professionnels, où nous avons seulement vu une salle de réunion et la route entre l'hôtel et l'aéroport ? Les destinations lointaines pèseraient-elles plus que les contrées proches ?

Le voyage de l'extrême

Pour figurer au Livre Guinness des records, Charles Veley a dû aller jusqu'à l'île Bouvet, une minuscule parcelle inhabitée au large de l'Antarctique souvent décrite comme l'endroit le plus isolé au monde. Il lui aura fallu deux mois et demi de navigation avec une expédition météorologique, suivie d'un atterrissage périlleux en hélicoptère, pour atteindre l'île, recouverte à 90 % par des glaciers. M. Veley a eu de la chance cette fois-là. Il avait déjà fait deux tentatives, infructueuses !

Le comité d'experts examinerait ensuite ce qui constitue une unité géographique de voyage et définirait des paramètres qui pourraient être décisifs pour déterminer la durée d'un séjour, l'objet d'une visite, etc. Il pourrait aussi émettre des recommandations, voire proposer l'élaboration d'une autre norme, pour mesurer et vérifier l'immersion culturelle.

Une fois le texte du projet rédigé, on passerait au vote. Les 163 pays membres de l'ISO procéderaient à des consultations nationales auprès d'un groupe d'experts plus large, et soumettraient des observations. Ce processus se poursuivrait jusqu'à ce qu'une majorité – deux tiers des membres de l'ISO participants – l'approuve et que la norme soit publiée. Si d'aventure celle-ci se prêtait à la certification, d'autres lignes directrices pourraient alors être élaborées pour harmoniser le processus d'audit.

Tout cela semble assez simple, n'est-ce pas ? Attendez un peu que toutes les parties intéressées soient réunies dans une même salle et commencent à discuter. Imaginez Charles Veley et Jeff Shea en train de chercher un consensus ! Les voyageurs ayant couvert de vastes étendues auront soif de reconnaissance, les agences songeront à leurs prochaines offres touristiques, etc. C'est en réunissant toutes les personnes concernées et en posant le principe du consensus, qu'il est possible de progresser et de s'accorder sur des normes.

Naturellement, je ne dis pas qu'il faut une norme dans ce domaine, et nous n'avons du reste aucun projet en ce sens. Mais cet exemple illustre bien l'utilité des normes quand il n'y a pas de méthodes harmonisées et de meilleures pratiques au niveau mondial. Les normes répondent aux besoins du marché et apportent des solutions à différents problèmes : sécurité, qualité ou efficacité, accès aux marchés ou encore, diffusion de l'innovation.

Voyager est avant tout une expérience et une découverte, c'est vrai, mais j'admets avoir moi aussi compté les pays que j'ai visités. Et même si mon record est dérisoire par rapport à celui de mes concurrents, avec à ce jour tout juste 39 pays (selon la définition de l'ONU, je précise), je ne peux m'empêcher de rêver à mon prochain périple… Ah, que de possibilités !



Pas de longues traversées du désert à dos de chameau sans maîtriser la position de notre guide bédouin, sous peine de pénibles courbatures.
Photo:Maria Lazarte


Maria Lazarte
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