Instaurer une culture de la sécurité en Amérique latine

Lu en quelques minutes
Par Clare Naden
Mots clés : SécuritéMédical
Publié le
Partager sur , ,

Les industries à haut risque comme l’exploitation minière, l’exposition à de puissants pesticides dans l’agriculture et l’aggravation des risques dus au changement climatique sont parmi les facteurs de danger qui se posent en Amérique latine en matière de santé et de sécurité au travail. Le danger le plus grave de tous est peut-être pourtant d’ordre culturel et s’articule autour d’un manque de prise de conscience et d’engagement.

Sachant que quelque 130 millions de travailleurs gagnent leur vie dans des conditions précaires et qu’un travailleur sur dix ne dispose d’aucune protection sociale1), faut-il s’étonner que les questions de santé et de sécurité ne soient pas toujours la préoccupation première des salariés d’Amérique latine ? Certains organismes s’attachent néanmoins à encourager un changement d’état d’esprit auprès d’un grand nombre de leurs travailleurs pour faire progresser leur performance en santé et sécurité au travail. Dans cet article, des experts d’Amérique latine exposent les perspectives d’avenir en ce qui concerne ISO 45001, la nouvelle Norme internationale sur les systèmes de management de la santé et de la sécurité au travail (S&ST).

« La santé et la sécurité au travail nous concernent tous... Il y va de la vie et du bien-être de nos collègues », fait valoir Sergio Henao ­Osorio, Responsable changement organisationnel chez Ingenio Pichichí S.A., l’un des principaux producteurs de canne à sucre de Colombie. « En ­Colombie, le principal problème vient du fait qu’il n’y a pas de véritable culture de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail. C’est l’un de nos défis, mais aussi l’un des éléments essentiels de notre mission : faire de la S&ST une valeur clé pour tout notre personnel, et un principe à respecter dans toutes nos activités. »

Ingenio Pichichí S.A., qui emploie 792 personnes et 995 intervenants extérieurs, annonce fièrement un taux d’accidents largement inférieur à la moyenne de 7 % qui prévaut en Colombie. En matière de sécurité, c’est l’une des organisations les plus performantes dans ce secteur de l’industrie. « Nous visons la performance zéro accident », souligne Sergio, « aussi, nous cherchons sans cesse des moyens d’encourager l’auto-­responsabilisation et l’emploi d’équipements de protection, en fournissant les meilleures technologies et en favorisant, à tous les niveaux, une culture sécurité généralisée. »

L’enjeu culturel

En Amérique latine et dans les Caraïbes, on dénombre chaque année environ 30 000 décès et 22,6 millions d’accidents du travail entraînant un arrêt de travail d’au moins trois jours2). Avec un coût de l’ordre de 2 % à 4 % du produit intérieur brut régional, les traumatismes et les pathologies liés au travail représentent un risque sanitaire important dans toute la région, sans parler de la vie et du bien-être des citoyens3). À l’instar de la situation en Colombie, la passivité générale en ce qui concerne les questions de santé et de sécurité constitue un défi pour de nombreuses organisations dans les pays de la région.

Spécialiste en normalisation à l’ICONTEC (membre ISO pour la ­Colombie), Luisa Fernanda Pallares, qui est active dans le comité de projet ISO/PC 283, Systèmes de management de la santé et de la sécurité au travail, note que beaucoup de gens pensent que si rien ne leur est arrivé jusque-là, rien ne peut leur arriver à l’avenir. Elle poursuit : « Dans certains domaines de la vie, cette attitude peut être utile, mais elle n’est pas propice à l’établissement d’une culture de sensibilisation à la sécurité et, de ce fait, les gens n’ont souvent pas la volonté d’investir du temps et des efforts pour augmenter leur prise de conscience ou pour prendre autant de précautions que nous le souhaiterions. »

Autre membre de l’ISO/PC 283, Ximena Baldeón, Spécialiste des normes à l’INEN (membre ISO pour l’Équateur), signale que son pays est face à des difficultés similaires. « Beaucoup d’employés estiment que les questions de santé et de sécurité sont du ressort de la direction et ne les concernent pas », explique-t-elle. « Dans le même temps, bon nombre de dirigeants n’ont pas conscience de l’intérêt économique en jeu et ne sont pas très motivés. On observe alors une forme d’état d’esprit où les gens ont trop peur ou ne s’impliquent pas assez pour signaler des incidents ou des dangers. »

Ce manque d’intérêt prévaut également dans certaines organisations au Panama, reconnaît un autre expert de l’ISO/PC 283, Anibal Ortega, Spécialiste des normes à la COPANIT (membre ISO pour le Panama). « Certaines organisations n’ont pas l’expertise et le budget nécessaires pour véritablement investir dans des mesures préventives », déplore-t-il, « en conséquence, le niveau de préoccupation à cet égard est parfois insuffisant. »

Financer l’éducation

Pour Héctor Sáez, autre membre du comité, Spécialiste en normalisation à l’INN (membre ISO pour le Chili), la culture n’est pas la seule en cause, c’est aussi une question d’éducation. « La principale difficulté, me semble-t-il, pour les organisations chiliennes, tient au fait que ce sont souvent les travailleurs sans instruction qui ont les métiers à plus haut risque et il leur manque donc les connaissances et la compréhension nécessaires pour identifier les risques pour la santé et la sécurité », dit-il. « Une organisation peut faire preuve d’engagement en matière de santé et de sécurité au travail en mettant les ressources appropriées à disposition, l’équipement et les vêtements par exemple, mais si les employés ne les utilisent pas correctement, on a un grave problème. »

En Colombie, Ingenio Pichichí S.A. a mis en place un programme de sensibilisation porté par diverses activités : pièces de théâtre, bandes dessinées conçues par les enfants des employés, ateliers pratiques, technologies de surveillance des risques et des dangers, audits appropriés, documentation des processus et surveillance et évaluation de la conformité. La société est certifiée SMETA (Audit de commerce éthique pour les adhérents de SEDEX), l’un des formats d’audit éthique les plus largement utilisés dans le monde, qui est un élément de preuve de commerce éthique et de travail décent.

Ximena précise qu’en Équateur de nombreuses organisations ont de bonnes initiatives en place, avec notamment formation du personnel, établissement d’objectifs spécifiques liés à la santé et la sécurité, et respect des réglementations nationales et internationales. « Beaucoup de petites et moyennes entreprises pensent néanmoins ne pas avoir le budget pour entreprendre des mesures étendues, et l’ampleur de la documentation peut parfois constituer un obstacle. »

Anibal relève qu’au Panama quelques organisations prennent le temps d’engager du personnel dédié à la planification de la santé et de la sécurité au travail et organisent des événements s’y rapportant, et qu’en Colombie de nombreuses organisations utilisent déjà OHSAS 18001 – un référentiel reconnu de longue date au plan international pour la gestion de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail – pour démontrer leur respect de la législation nationale et des réglementations internationales, même si le coût de la certification peut être prohibitif pour de nombreuses entreprises.

Aller plus loin avec ISO 45001

« La question du budget demeurera toujours un sujet de préoccupation », reconnaît Luisa, « en particulier pour les petites et moyennes entreprises ». Heureusement, la nouvelle norme ISO 45001 peut maintenant les aider à mener plus avant leurs initiatives. Il sera ainsi plus facile pour d’autres organisations moins engagées en termes de santé et de sécurité de réduire les risques au travail et d’améliorer la vie de leurs employés.

Ingenio Pichichí S.A. ambitionne d’obtenir la première certification ISO 45001 en Colombie, sinon dans le monde. « Dans cette optique nous avons élaboré un plan de travail pour la mise en œuvre d’un système de santé et de sécurité au travail conformément à la norme ISO 45001 », explique Sergio. « Nous avons la conviction qu’ISO 45001 facilitera l’intégration d’un système de management de la santé et de la sécurité au travail avec d’autres systèmes de management ISO tels qu’ISO 9001 et ISO 14001, ce qui simplifiera la maintenance et l’amélioration de tous les systèmes. »

Pour Sergio, la norme ISO sur la santé et la sécurité au travail établit, pour la gestion des dangers, des risques et des opportunités, des exigences qui sont essentielles pour mener à bien leurs initiatives quelles qu’elles soient, car elles permettent l’amélioration continue et l’établissement approprié des priorités en matière de ressources.

Selon Anibal, au Panama la norme aidera les entreprises à surmonter certaines des difficultés souvent rencontrées dans la mise en œuvre d’un programme de santé et de sécurité au travail. « L’emploi d’un langage simple et les processus propres et systématiques qui sont décrits dans le document aideront non seulement les entreprises, mais contribueront également à faciliter les processus de réglementation locale », explique-t-il.

De l’avis d’Héctor, le fait que la norme représente un consensus international et les meilleures pratiques est essentiel. « Après ISO 9001, OHSAS 18001 est le système de management le plus utilisé au Chili. L’intégration d’ISO 45001 sera donc beaucoup plus facile à opérer. »

Choc culturel

Bien sûr, les défis ne manqueront pas. Obtenir l’adhésion des dirigeants est la première étape essentielle, même si, comme Anibal le pressent, « la mobilisation des responsables au niveau de la planification de la santé et de la sécurité au travail ainsi que la définition des objectifs ne seront pas faciles à réaliser. » Il est tout aussi impératif de responsabiliser la main-d’œuvre en matière de santé et de sécurité, en sensibilisant les gens et en leur donnant les bonnes compétences, ce qui prouve que leur bien-être est pris au sérieux. Pour Ximena, « il est indispensable que les employés comprennent l’importance de la santé et de la sécurité et que c’est pour leur bien, et non pas pour celui de leurs dirigeants ni pour améliorer les résultats de l’entreprise ».

« Dans le même temps », dit-elle, « la direction doit se rappeler que certaines mesures sont certes coûteuses, mais que la santé et la sécurité au travail sont à voir comme un investissement plutôt qu’une dépense. L’entreprise enregistrera non seulement une baisse de l’absentéisme, car les employés qui se sentent en sécurité et bien traités dans leur environnement de travail sont susceptibles de se montrer plus engagés et impliqués dans leur travail – ce qui n’a pas de prix. »

Luisa, pour sa part, convient que le retour sur investissement est potentiellement élevé. « Le fait d’avoir un leadership engagé, apte à motiver à leur tour les employés, est un facteur de réussite clé. » Bien sûr, la région de l’Amérique latine n’est pas la seule à lutter pour mobiliser les employés. C’est l’un des maîtres mots de notre temps. Mais les graines ont été semées et le succès est effectivement en bonne voie – après tout, la vie et le bien-être de millions de travailleurs en dépendent.


1) 2013 Labour Overview. Latin America and the Caribbean, Organisation internationale du Travail (OIT).

2) Alli, B.O., Fundamental Principles of Occupational Health and Safety (deuxième édition), OIT 2008.

3)Giuffrida, A. et al, Occupational risks in Latin America and the Caribbean : economic and health dimensions, Health Policy Plan 2002 Sep., 17(3):235-46.

Elizabeth Gasiorowski-Denis
Elizabeth Gasiorowski-Denis

+41 22 749 03 25
contact pour la presse

press@iso.org

Journaliste, blogueur ou rédacteur ?

Vous souhaitez obtenir des informations exclusives sur les normes, ou simplement en savoir plus sur ce que nous faisons ? Contactez notre équipe ou consultez notre dossier médias.